Et il faut trouver un titre, en plus?

Je n'avais pas particulièrement l'intention de parler de flics ou de confrontation de rue aujourd'hui. Mais moi qui me plaignait de l'absence de politique dans cette campagne, l'actualité force un peu la main. Et suite à ce statut, je me suis engagé à exposer une série de choses par ce biais.

Je n'ai qu'une parole, donc on va revenir sur les événements de hier matin autour et alentours du Palais de Justice, en essayant d'élargir le champ de la réflexion.

Résumé des épisodes précédents. Se tenait ce matin un de ces sommets dont le patronat européen à le secret et qui a le don d'énerver un paquet de gens (dont moi). Deux jours de séminaires où tout ce qui compte (ou voudrait compter) de patrons de grosses boites discutent le bout de gras et boivent des coups avec une série de responsables politiques, de hauts fonctionnaires, de conseillers d'institutions internationales... bref, une activité de lobbying qui pousse l'arrogance jusqu'à affirmer sur son site web qu'ils "forgent l'avenir de l'Europe". En l'occurrence, l'avenir au menu des discussions, c'était notamment le traité transatlantique TTIP

Comme, fort heureusement, il n'est pas question de laisser ces gens décider tout seul de ce que doit être notre avenir commun, surtout à 10 jours d'une élection européenne, une plateforme regroupant des associations d'horizons divers a lancé un appel à la manifestation contre le projet.
Comme de coutume, contact a été pris avec les autorités de la Ville, un parcours a été négocié et acté par les deux parties, l'autorisation est délivrée, bonsoir monsieur, bonsoir madame, rendez-vous le 16 mai. Jusque là, tout va bien.

Sauf qu'apparemment, très vite, ce matin, tout ne va plus si bien que ça. Le cortège "sort des clous", l'important dispositif mis en place passe à l'action sans retenue... 250 types en détention administrative, parmi lesquels des militants, des élus, des citoyens engagés... "un peu de tout", si on veut.

Bon. voila pour la synthèse.

Maintenant, les réflexions, dont je précise encore qu'elles dépassent assez largement le cadre du cas particulier qui a amené à la rédaction du présent billet.

Primo, coté "forces de l'ordre". Commençons par là, c'est encore ce qu'il y a de plus facile. Il y a un problème du coté de la police de Bruxelles. Ce n'est pas un scoop. N'importe qui ayant participé de près ou de loin à l'organisation d'une manif peut le dire et ça ne date pas d'hier.
Le responsable opérationnel sur ce genre d'événements est un spécialiste de la provocation gratuite. La formation des jeunes recrues est manifestement insuffisante et, par dessus le marché, j'entends dire que, depuis un moment, les agents les plus expérimentés ont été mis de coté et ne sont donc plus là pour encadrer les nouveaux.

Quand on est le seul dépositaire de l'usage légal de la force, on a évidemment toujours la plus grande part de responsabilité dans son usage et dans la mesure avec laquelle on la déploie. En ce qui concerne l'importance du dispositif, rappelons-nous que ce n'est pas le politique qui a la main, mais le responsable opérationnel. Si pour une raison ou une autre, ça tourne mal et qu'il apparait que le dispositif n'était pas à la hauteur de l'évènement, c'est sa responsabilité pénale qui est engagée. Ca ne veut pas dire pour autant qu'il faut sortir les bazookas pour chasser une taupe, mais ça peut servir à certains pour justifier d'un déploiement de forces qui, à titre personnel, me semble déjà être une provocation en soi. 

Il n'empêche que, en bout de course, la responsabilité politique est assumée par le président de la zone de police. 
Mais pour pouvoir assumer cette responsabilité politique, il faut aussi les moyens de la sanction. Or, il est difficile pour les autorités politiques de prendre des sanctions disciplinaires rapides à l'égard d'un responsable policier ayant fait l'objet d'une plainte, parce que celle-ci doit d'abord aboutir en justice avant que la sanction ne puisse être effectivement prise. 
C'est à la fois la force et la faiblesse du statut des fonctionnaires de police. Ni plus ni moins que n'importe quel autre citoyen, on doit leur garantir le droit à la défense. Et il me parait plutôt sein qu'un licenciement ne puisse pas avoir lieu sur la seule base d'une décision politique non plus. Mais quand le niveau de protection, lié à l'encombrement des parquets, donne le sentiment d'impunité à certains, il faut donner les moyens au responsable politique de prendre des mesures efficaces et rapides. 
S'il s'est trouvé une majorité pour voter une extension des Sanctions Administratives Communales sur le principe de ce constat, il doit pouvoir s'en trouver une aussi pour renforcer les moyens de lutter contre les dérives du coté de la police.



Secundo, et c'est là que pour certains il devient plus difficile de me suivre, il y a tout de même un coté "organisateurs et manifestants" dans ces histoires, que nous devons aussi être capables d'envisager comme militants et comme responsables de toutes natures.

Cela fait un moment maintenant que les rapports sociaux se tendent. Et, par voie de conséquence, que les mouvements se durcissent, dans certains groupes en particulier. Honnêtement, ça ne me pose pas de problème fondamental. J'ai beau être pacifiste, ça ne m'empêche pas de considérer que la violence est un fait social et qu'elle fait partie du processus historique. Dans certaines conditions historiques, elle peut même devenir nécessaire. Mais ces conditions ne sont pas remplies aujourd'hui, à mon avis. 

Etre organisateur d'une manifestation, c'est aussi une responsabilité lourde. Celle de la sécurité des gens que nous appelons à manifester pour commencer. Ca passe notamment par la demande d'autorisation de manif et le respect du parcours négocié. Et je ne nie certainement pas que certains parcours imposés sont des provocations en soi. Je ne suis pas près d'oublier D14. Ca passe aussi par la prise de mesure visant à encadrer sa manif pour éviter de répondre aux provocations et les débordements.

Pourquoi? 

Parce qu'aussi convaincus que nous soyons de la justesse des positions que nous défendons dans le cadre d'une manifestation, on reste dans le partage de l'espace public. Que l'on soit dans la démonstration de force ou dans l'action symbolique, notre liberté d'expression est limitée par la défense de la liberté de l'autre (poke Rosa Luxembourg), en l'occurrence celle de jouir de l'espace public aussi. 

En fait, c'est tout simplement une question de contrat social. 

Alors partant de là, je peux tout à fait entendre que certains veulent remettre en cause ce contrat social, qui ne manque pas de faiblesses et charrie son lot d'injustices quasi structurelles, par la voie de l'action directe. Après tout, la conquête de droits se fait dans le rapport de forces aussi, je le répète à qui veut l'entendre.
Mais c'est aussi une question d'assumer ses responsabilités et de cohérence. On ne peut pas à la fois refuser les règles du jeu, parce qu'on les considère illégitimes, et se considérer comme victime du caractère répressif d'un cadre dont on s'exclut, à mon humble avis.

Par ailleurs, il y a une autre question de cohérence qui se pose avec une certaine urgence. Peut-on à la fois s'autoriser, sûrs de notre légitimité, à passer outre le cadre en attendant la passivité des pouvoirs publics, et en même temps attendre des mêmes pouvoirs publics qu'ils tombent avec toute la force dont il dispose sur des groupes qui affirment des thèses diamétralement opposées aux nôtres?

Voila. Quelques réflexions en vrac, qui malgré leur formulation sans doute un peu maladroite, sont des sujets sur lesquels on doit pouvoir débattre sereinement. C'est un état de ma réflexion à ce stade - et je poursuis ma révolution permanente interne sur le sujet.  Les échanges sont toujours les bienvenus pour la faire avancer...