Plus qu'une semaine avant le scrutin.
Ce n'est évidemment pas le moment pour tirer des conclusions, au contraire, c'est plus que jamais "le nez dans le guidon", donner tout ce qu'il reste de force de conviction et d'énergie pour aller chercher chaque citoyen et lui expliquer les enjeux du scrutin, les différences entre les programmes des différents partis... parfois, plus fondamentalement simplement rappeler l'utilité du vote.
Etre sur le terrain, c'est souvent les montagnes russes. Les rencontres sont de tous les genres, ce qui fait qu'on peut se sentir porté par l'enthousiasme d'une rencontre et anéanti par la dureté de la suivante.
Etre militant en général, c'est évidemment s'exposer à ces fluctuations, accepter de se faire engueuler, essayer de faire la part des choses, parvenir à ne pas prendre ça personnellement, réfléchir au "pourquoi" de son engagement et repartir de l'avant.
Exemple du jour.
Aujourd'hui, donc, rendez-vous place Rouppe avec plusieurs camarades à 9h30 : la Fédération avait besoin de troupes pour distribuer un tract (qui déchire sa maman, si vous me passez l'expression, mais on va encore dire que je ne suis pas objectif) reprenant à la fois le bilan des socialistes au gouvernement et les axes prioritaires de notre programme au fédéral.
Avant de défendre ma seule candidature, je me bats pour la victoire du collectif. Donc, hop, en avant, c'est parti pour la distribution du tract de la fédé. Bon, je me charge de mes tracts à moi aussi (tout de même...). On s'est vu attribuer le territoire d'une commune du Nord Ouest, ce sont des voisins.
Et puis 9h30, ça me laisse largement le temps d'aller répondre à l'offre d'un ami qui me propose de coller une affiche sur son garage avenue Brugmann.
Bref, je vous passe les détails, première boite aux lettres, la porte s'ouvre. Un monsieur d'un âge euh.... d'un certain âge. "Ah, vous vous présentez? Oh de toute façon vous n'avez aucune chance, c'est un patelin de dingues ici...".
Arf... bon, ça commence bien, on ne se démonte pas, on discute quelques minutes, on échange, sur le quartier, les propositions qui le touchent, etc.... "ah oui, et bien écoutez, bonne chance vous en aurez besoin". Merci monsieur et belle journée...
On reprend la route, autres immeubles, autres personnes croisées plus ou moins ouverte à échanger un peu plus qu'un "bonjour". Et puis dans un hall d'entrée: "ah monsieur, vous videz votre boite, je peux vous parler un instant de ce que j'allais y mettre?" "Quoi? Ah non, vous êtes tous des voleurs !" "ben pourquoi vous dites ça?" et reviennent les mythes diffusés par l'extrême droite, sur les prétendus 18.000 € de salaire mensuel des euro-députés (en fait, une enveloppe qui sert à payer les salaires des collaborateurs parlementaires, les frais d'études complémentaires si un député veut faire approfondir un sujet par un expert ou une université, qui couvrent les frais de mission,.... tout ce qu'on veut sauf un salaire, quoi). Puis les impôts, et toute la litanie. On ne se démonte pas, on répond à chaque cliché véhiculé par les cliques les moins fréquentables, on montre ce qui est fait, ce qu'il reste à faire... "et les accises sur l'essence? il la paye sans doute, les députés européens?" "ben.... ils font le plein à la pompe, comme tout le monde..." "AU REVOIR!" ...
On ne peut pas convaincre tout le monde, c'est comme ça...
Ah tiens, je ne suis pas encore allé voir où nous en sommes sur un autre terrain de campagne permanente, encore. Que dit Facebook aujourd'hui? Ah... que je suis le candidat le plus pénible suivant trucmuche. Ok, restons zen. Non, non, rien de perso, là-dedans. Où en étais-je dans mes boites aux lettres? Voila. "Non, pas chez moi, la NV-A j'en ai déjà beaucoup trop". "Je suis bien d'accord avec vous monsieur, de la NV-A on en a toujours beaucoup trop. D'ailleurs, je viens vous parler du bilan gouvernemental des socialistes". "Moi monsieur, je suis architecte et anarchiste". Alors toi, mon vieux, je sais déjà que je ne te convaincrai de rien du tout, mais par contre, je sens qu'on va avoir une discussion intéressante. Ca n'a pas raté. 20 minutes devant sa porte, à échanger sur les mérites comparés du mandat impératif ou du referendum, sur les limites posées par les disparités sociales au bon fonctionnement d'une démocratie directe, sur le parcours de Louise Michel... "Non, mais c'est bien ce que tu dis, mais dans 5 ans tu seras obligatoirement corrompu parce que c'est inévitable. Allez, salut!" claquement de portière, mon architecte file à bord de son 4x4 vers quelque important chantier, sur un argument d'autorité qui te fait penser que finalement, "misère de la philosophie", c'était un peu vache comme titre, mais c'était bien senti.
Allez, je n'aurai pas ramené une voix à la gauche avec celui-ci, mais je ne pourrai pas dire qu'il n'avait pas envie de parler politique. Où en est-on sur le front numérique? "Non mais c'est normal quand on tracte pour la première fois et qu'en plus on rencontre des "vrais" gens qu'on veuille garder un souvenir". Nom d'un chien, être de toutes les campagnes depuis pfff.... 12 ans au moins, sans compter celle "d'avant", avoir diffé des tracts par tous les temps et pour toutes les occasions, avoir discuté des centaines et des centaines d'heures avec je sais pas combien de citoyens à toute heure du jour ou de la nuit, pour finalement lire un truc pareil... Respire à fond, Brian, ce type n'a pas la moindre idée de ton parcours et il s'en tape, c'est important de pouvoir faire un bon mot de temps en temps quand il vous vient à la bouche. Passons...
Et comme ça, avec des hauts, des bats et parfois des débats, jusque vers 17h00. Et là....
Tu ne payais pas de mine, sur le pas de la porte de ta petite maison sociale. Dans une des cités jardins qui a le plus souffert du désinvestissement public dans les années 80 (et je ne parle même pas de soucis de gestion réels par la suite). En train de nourrir le chat du quartier, je suppose. Je te décrirais bien comme je t'ai vue, avec tes... quoi? 70 balais ? ... ton accent du sud et ton air un peu fermé vis-à-vis de ce type qui marche vers toi avec son écharpe sur la tête pour se protéger du soleil.
"Bonjour Madame, je peux vous déranger une petite minute?" "ah ben vous avez de la chance qu'il est de mon parti ce tract là, sinon je vous l'aurais pas pris hein. C'est le parti des ouvriers, et moi je suis ouvrière."
Tu ne liras sans doute jamais ça, camarade, mais j'en aurais pleuré.
Merde.
On rencontre de tout en campagne. Des déçus. Des aigris. Des gens qui profitent d'une rencontre de passage pour vous déverser sur la tête tout ce qu'ils ont sur le coeur. Des gens accueillants, convaincus ou simplement polis. Des gars qui ont besoin d'un conseil. Des gamins qui vous expliquent leur quartier.
Un peu tous les visages de Bruxelles. Avec ce qui lui fait une belle petite gueule d'amour ou la sale tronche des lendemains de veille qui ressemblent déjà trop à la veille du jour d'avant.
"Courage, hein, Monsieur, faut continuer de se battre!"
Promis