Démocratie du buzz et désenchantement du politique.

Ami lecteur, j'espère que tu as une tasse de café pas loin, parce que je crois que je vais être un peu long. 


Donc, mardi matin, Didier Reynders a raconté n'importe quoi. 

Préméditation ou dérapage? Dans un jeu politique ou tout est contrôlé et venant d'un gars connu pour être brillant et dans le contrôle permanent, on est plutôt tenté de pencher pour la première option. Bon. Maintenant, des types dont les propos dépassent la pensée ou qui, se sentant coincés, sortent une énormité, on en croise à tous les coins de rue. Que celui ou celle à qui ce n'est jamais arrivé lance la première pierre. 

En réalité, toute cette histoire est un épiphénomène. Je ne minimise pas le caractère choquant des propos, ou la bêtise de lier des évènements qui n'ont rien à voir avec la gestion du pays et qui ont profondément heurté le pays à la présence ou non d'un parti politique au gouvernement. Ca, certainement pas. "Didjé" ne s'est pas montré à la hauteur de ce qu'on peut attendre d'un homme politique de son envergure (même si c'est l'incarnation de l'enragé de droite qui me rend dingue, faut bien lui reconnaitre de l'envergure), c'est un fait. 

Mais ce n'est pas ce qui est intéressant. Ce que je trouve intéressant, c'est la façon dont cette "petite phrase" est devenue en quelques heures le seul sujet de conversation. Au final, ce ne sera pas sur sa réforme fiscale antisociale ou sur son programme sécuritaire qui me fait froid dans le dos que Reynders aura été jugé. C'est sur cette ânerie. 

Principe de propagande de base: en bien ou en mal, l'essentiel est qu'on parle de vous. Pour le coup, c'est réussi. Et l'attention portée à ce qui fait le buzz amplifie encore la pertinence du principe. 

Je ne prétends pas être différent de qui que ce soit face à ce phénomène: je tuerais père et mère pour un bon mot, un calembour débile ou une sentence assassine. Par amour de la langue, parfois, par conviction le plus souvent. Je ne m'en suis pas privé mardi.

Ce qui est particulièrement dérangeant, dans cette "démocratie du buzz" (cette histoire fait quand même l'ouverture du 12 minutes de la RTBF, c'est dire...), dans une campagne qui peine jusqu'ici à trouver des espaces de confrontation directe entre les différents partis sur des enjeux clairs- et pourtant ils ne manquent pas - c'est qu'elle amène dans ses bagages des discours sur la fin de la démocratie moderne. C'est le désenchantement du politique. L'idée que "le politique ne peut pas tout". Parfois, même, "qu'il ne peut rien".

Vous ne risquez  pas de m'entendre dire que notre démocratie est parfaite, loin de là. S'il s'agit de porter des critiques sur la "démocratie bourgeoise", je peux vous dérouler tout le laius et, dans la litanie, il y a plusieurs arguments sur lesquelles nous pourrions nous mettre d'accord.

Mais les pseudo-réponses qui sont en vogue pour le moment sont incroyablement réactionnaires. L'une vient du MR de Reynders, justement. Supprimer l'obligation de vote. Bah oui. "ça vous embête, les élections? Vous avez raison, restez chez vous, on s'occupe de tout. Si vous voulez pas, on va pas vous forcer, quand même...". 
L'autre va encore plus loin. Remplacer le principe de l'élection par un tirage au sort. Confier au hasard la gestion de la Cité. 

Pourquoi les deux propositions sont-elles réactionnaires? Le fondement de notre démocratie, c'est le suffrage universel. Et l'essence du suffrage universel, c'est la conviction que l'être humain est maitre de forger son destin. Individuellement et collectivement. C'est une éthique de la responsabilité individuelle, qui s'exprime par le suffrage. Et de la responsabilité collective dans le fait qu'il est vraiment universel. 

Un système pareil, ça ne coule pas de source et ça ne fonctionne pas tout seul.

Comme militant (et plus encore comme candidat à une élection), on se fait régulièrement enguirlander. C'est normal. C'est même sain. On s'engage, on se propose pour assumer des responsabilités. Et donc on s'expose personnellement. 
Ici, c'est autre chose. Ce que je comprends de ces discours sur la fin du suffrage et l'avènement du tirage au sort, c'est un principe de dé-responsabilisation. C'est confier à un principe extérieur le risque de se tromper. Parce que voter, c'est faire un choix et donc prendre le risque de se tromper. Et d'en être responsable. 

Encore, je me contente ici de parler de vote. C'est un moment important et fondateur, le vote. C'est plus qu'un simple rappel symbolique de ce que le seul souverain, le seul détenteur du pouvoir politique, c'est le peuple. Mais ça ne suffit pas à faire fonctionner une démocratie. 

Pour que cela fonctionne, il faut que chacun prenne conscience de son propre pouvoir. Et s'en serve. Chacun de nous, à chaque moment de sa vie, fait de la politique. parfois sans s'en rendre compte. Réagir quand on construit un immeuble de 50 étages à coté de chez soi, c'est faire de la politique. Monter une association de voisins, c'est faire de la politique. Même quand on fait ses courses, on pose des actes politiques. 

La politique, ce n'est pas un métier et ce n'est pas réservé à une caste fermée. C'est un engagement. Ce n'est pas un choix de carrière. C'est un choix tout court. 
Un choix que tout le monde est libre de faire. Un choix que tout le monde devrait faire, d'une manière ou d'une autre. En conscience. Un choix qui n'est pas simple tous les jours et qui ne donnent pas toujours la satisfaction de victoires immédiates. Ca demande parfois de la ténacité, de la détermination. Mais c'est autrement plus satisfaisant, au final, que de rester à râler dans son fauteuil!

Voila. Vous ne m'en voudrez pas si j'ajoute les illustrations plus tard, n'est-ce pas ?